Reflexions sur l’origine et la creation du pur-sang arabe

Le débat autour de l’origine exacte et de la genèse du pur sang arabe date approximativement du XIXème siècle, en Europe du moins.

L’hypothèse d’une origine purement arabe suppose l’existence d’un cheval préhistorique local dont descendrait presque sans changement le pur sang arabe actuel. Carl Raswan entre autres défendait ce point de vue.

L’autre hypothèse rejette l’idée d’un cheval arabe préhistorique et situe l’arrivée du cheval dans la Péninsule arabique sous forme domestiquée très tardivement , vers le premier siècle après JC. Les premiers chevaux de par leur rareté auraient eu un statut prestigieux, semi divin, avant d’être utilisés pour la guerre ou la chasse. La croissance des effectifs, très lente, est évaluée à travers des inscriptions détaillant le nombre de fantassins, chameliers et cavaliers ayant participé à des batailles antéislamiques.

Christian Robin et Saud Soliman Theyab ,(chevaux et cavaliers arabes, ouvrage collectif) résument ainsi une énumération d’inscriptions découvertes au Yémen et dans le Hadramaout :”Cette longue récapitulation n’est pas sans intérêt. Au Ier siècle les chevaux se comptent en unités; au IIIème siècle c’est par dizaines; enfin au IVème siècle c’est par centaines. Le cheval, très rare en Arabie méridionale au début de l’ère chrétienne, devient relativement commun trois siècles avant l’islam. ”

Par contre des chevaux de type pur sang arabe se rencontrent sur des bas-reliefs très anciens, mais hors de la Péninsule. Dans le tombeau d’Horemneb, (XVIIIème siècle avant JC) notamment, un cheval monté présente une petite tête avec un chanfrein concave, un col de cygne, une ligne sacrée horizontale et une queue implantée haut , qui en font un véritable modèle de show moderne, plus typique que bien des desertbred. Des bas-reliefs assyriens plus récents (VIIIème IXème siècle avant JC) montrent également des chevaux du même type.

Ces chevaux , dans l’ancienne terminologie de André Sanson, étaient qualifiés d’aryens, du nom des conquérants orientaux qui ont bouleversé la Mésopotamie et renversé les pharaons . Il est logique qu’ils se retrouvent sur tout le parcours de ces conquérants.

Les ancêtres du futur pur-sang arabe semblent donc distribués dans tout le Proche et le Moyen Orient plusieurs siècles avant d’avoir atteint son second berceau, la Péninsule arabique. Mais il ne s’agit que d’une population-souche, un minerai non encore purifié. L’Arabie sera la forge et les arabes les forgerons.

Première question, pourquoi un tel développement qualitatif en Arabie et pas chez les peuples cavaliers qui ont précédé les arabes dans la domestication du cheval ?
Deuxième question : comment ?
Troisième question : Pourquoi ce type “show” très antique, qui correspond à l’archétype du pur sang arabe dans l’esprit du grand public , cohabite-t-il avec un pur sang arabe beaucoup moins typé, à profil rectiligne, croupe plus inclinée , modèle du pur sang arabe de course , présent également chez de nombreux desertbred ?

A la première question on peut répondre par : C’est le fruit des besoins et des contraintes, moteur de toute évolution, qu’elle soit naturelle ou issue d’une pression de sélection humaine. Les besoins étaient les mêmes que ceux de tous les peuples cavaliers nomades: chasse (comme l’indique la légende de Zad er Rakib)  et razzia, accessoirement guerre et voyage. Il fallait un cheval endurant, rapide, et capable de résister aux terribles conditions climatiques. Ces besoins ont été comblés grâce à la sélection, en un laps de temps plus ou moins long selon les sociétés.

L’exception du contexte arabe par rapport à l’Asie centrale ou à l’Afrique du Nord réside dans la rareté du cheptel équin, en relation avec le coût pharamineux de l’entretien d’un cheval. Comparée aux immenses étendues herbeuses de l’Asie centrale, aux abondantes récoltes de l’Afrique du Nord grenier de l’empire romain, l’aridité extrême de la péninsule rendait l’approvisionnement en grain et fourrage très onéreux. Ceci représente la contrainte majeure. Alors qu’en Asie et en Afrique les troupeaux immenses pouvaient se reproduire quasiment en liberté , produisant aléatoirement d’excellents chevaux pour la razzia et la chasse, des chevaux moyens pour la guerre et les déplacements en tous genres, et du tout-venant pour la viande, le lait, le cuir et le bât, en Arabie seule pouvait exister la catégorie supérieure , qui justifiait par sa valeur tous les sacrifices nécessaires à son entretien. Dans ce contexte , le cheval moyen et le tout-venant étaient remplacés par le dromadaire. Étant entendu que les dromadaires eux-mêmes étaient divisés en catégories de noblesse diverse.

C’est pourquoi la pression sélective n’a pu qu’être énorme d’emblée.c’est aussi pour ça que la notion de généalogie a pu se développer car les chevaux en Arabie étaient des individus, non des troupeaux relativement anonymes. Imaginons à quoi ressembleraient les véhicules dans un contexte où le prix du pétrole serait dix fois plus élevé que partout ailleurs : sobres et très performants …

Deuxième question : comment a pu se produire une telle purification en si peu de temps ? Au premier siècle après JC , les chevaux n’existent pas dans la,péninsule. Ceux d’Egypte et de Syrie sont à peine mentionnés par l’auteur romain Oppien dans son Livre de la Chasse alors qu’ils s’étend sur la rapidité des chevaux espagnols et siciliens, et sur l’endurance du cheval de Maurétanie et de Libye . Notons qu’Oppien était lui même natif de Syrie.

Ce progrès rapide et irréversible est dû à l’immense savoir empirique des arabes en matière d’accouplements , leur maîtrise de la consanguinité, et leur utilisation de la course comme instrument de mesure objectif de la qualité des reproducteurs. Cela est assez connu pour se passer de développement.

Un point à questionner est l’utilisation des juments pour la selle, phénomène presque exclusivement arabe. Il est sans doute lié au coût d’entretien : nul ne peut entretenir une jument exclusivement pour la reproduction, elle doit gagner son grain et son fourrage en portant son maître. Il est probable de ce fait que des juments pleines de plusieurs mois effectuaient couramment des razzias , des parties de chasse de plusieurs dizaines de km au galop derrière une gazelle ou une antilope. Ceci conduit à parler d’épigénétique. Cette discipline étudie l’impact du vécu de la mère gestante sur l’embryon qu’elle porte, sur les gamètes de l’embryon, sur la descendance même de cet embryon. D’ailleurs, plutôt que de vécu de la mère on devrait parler de vécu du couple mère-embryon. Les modifications apportées au niveau du génome du produit ne sont pas des mutations; elles consistent en activation de certains allèles et désactivation des autres. L’action ne s’exerce pas sur les circuits mais sur les interrupteurs. Que les généticiens et les informaticiens pardonnent ce parallèle approximatif :  la génétique correspondrait à la modification de pièces de l’ordinateur, et l’épigénétique à une modification des logiciels. Modification qui se fixe et devient héréditaire.

On peut formuler l’hypothèse que le travail d’une jument gestante apportera un plus au poulain qu’elle porte et surtout à la descendance de ce dernier. On peut aussi supposer que les gamètes d’un étalon soumis au travail seront améliorées par rapport au même étalon qui n’aurait jamais accompli d’effort. Évidemment il s’agit pour la jument d’un effort adapté à son état.

Un exemple limité porte sur des juments arabes importées de France au Maroc en 2015. Les poulains nés deux mois après leur arrivée transpiraient énormément , par des températures de 45 °C (conversion °F?). Les poulains nés en 2016 des mêmes juments et d’un étalon importé du même haras résistaient à la chaleur aussi bien que les poulains locaux. L’exception arabe réside peut être dans une exploitation maximale et sans égale des ressources de l’épigénétique.

Troisième question : Pourquoi, alors que le type arabe à profil concave et croupe horizontale semble fixé dès le XiIIème siècle avant JC, bien avant l’arrivée du cheval dans la péninsule, trouve-t-on parmi les desertbred photographiés au XIXème siècle des chevaux beaucoup moins typés mais néanmoins indiscutablement arabes de par leur généalogie ?

Il peut s’agir d’une évolution naturelle. Mais il peut aussi y avoir eu dans les premiers siècles de l’expansion musulmane intégration des meilleurs chevaux capturés au pool génétique arabe. Cette dernière hypothèse semble en contradiction avec l’exigence arabe de pureté du naçal ou lignée, qui interdit d’utiliser un étalon ou une jument dont les ascendants ne sont pas établis avec certitude. Cette interdiction, rapportée depuis trois ou quatre siècles était elle déjà en vigueur il y a quatorze ou quinze siècles ?

Comment expliquer que El Hajjaj Ibn Youssouf, sur ordre du calife Omeyyade demande à son lieutenant Qoteiba d’organiser des courses dans le Khorassan et de lui envoyer les vainqueurs ? Ceux-ci, deux frères issus de la même jument, sont acheminés vers Damas, mais l’un d’eux est volé en route . Le second, arrivé à la cour est offert par le calife à son frère . Peut on imaginer que le voleur d’une part, le frère du calife d’autre part, n’aient pas fait reproduire ces chevaux d’exception ? Après tout, Antar ben Cheddad, fils d’une esclave , bâtard, a été reconnu par son père et intégré au naçab suite à ses exploits …

Plus tard,,le savoir arabe en matière de sélection a certainement été adopté dans les zones conquises, de même qu’était adoptée à l’identique la méthode de l’idmar, décrite aussi bien au Turkmenistant qu’au Moyen Orient et au Maghreb.

On peut se demander si la notion de dégénérescence des races exportées hors de leur berceau , en particulier le pur sang arabe, n’est pas avant tout dûe au changement d’environnement géographique et humain, qui a tendance à défaire inexorablement ce que la sélection basée sur la génétique et l’epigenetique a construit depuis des siècles .
De là découle une question concernant les races de terroir: Peut on éviter la perte de certaines aptitudes chez un chien de troupeau qui ne voit ni ne sent le loup pendant des générations ? Chez un lévrier qui ne chasse plus ? Chez un pur sang arabe dont les juments ne sont plus montées, gestantes ou non ?

3 Replies to “Reflexions sur l’origine et la creation du pur-sang arabe”

  1. Prodigieusement intéressant !
    Il ne fait aucun doute selon moi d’un simple point du vue géographique, le Moyen-Orient étant un carrefour des civilisations, que des apports successifs ont eut lieu. Je ne suis pas pour autant opposée à l’idée d’une “source” locale en Syrie on élevait déjà des chevaux à Qatna (la cité du cheval Blanc – un maigre exemple parmi de nombreux autres) à l’âge du Bronze, même s’ils sont réservés aux élites. A part les égyptiens, les Hourrites puis le Mitanni, les Akkadiens étaient éleveurs de chevaux. Je pense qu’à l’heure actuelle ont peu assez bien déterminer la provenance “Kassite” des premières introductions de chevaux plus massives au Moyen-Orient, selon les historiens récents. Et de toutes façon, les sources antérieure amène toutes au même point : Gutti, Elam, Manea – soit les régions en bordure des lac à flanc du Zagros. Les premiers chevaux étant désigné sous le nom d’ “âne des montagnes”. Les romains sont mauvais conseillers en la matière confondant constamment les Kassites (Kashshi en akkadien) et les Kushites (nubiens) amenant sur de fausses pistes quand aux origines des premiers éleveurs de chevaux du Moyen-Orient. De la même façon, il ont transformé Manea en Mesean puis Nisea (les célèbres chevaux Niseéns).
    Ce qui est assez certain aussi c’est que les migrations Turques, peuple Indo-Européen riche en culture équestre, qui ont eut lieu bien plus tard, ont modifié profondément les premières sources “locales” et que la race que nous appelons aujourd’hui Arabe tiens plus d’un mélange du Turkoman et de l’Arabe si j’en crois les dernières études génétiques. Au début du 19e siècle ont a encore une assez nette distinction entre les chevaux Turkomans, les Kuhaylat situés au Nord et les origines Nedjdi au Sud, considérées sur place comme les plus valables par leur noblesse de sang selon tous les rapports des voyageurs européens (même si elle n’est pas toujours à leur goût occidental ^^). En ce qui nous concerne occidentaux, notre manque de discernement des ces “races”, de compréhension des subtilités qui les différenciait a amené la race “Arabe” à absorber en un terme générique toutes ses nuances à de rares exceptions près.
    J’ajouterai pour conclure à ce message déjà trop long que les études sur la “plasticité” génétique du cheval sont passionnante, car si parmi tous les animaux il est l’un de ceux qui s’en est plutôt bien sorti c’est sans doute autant grâce à sa capacité génétique à s’adapter à son environnement qu’ à sa domesticité. Et qu’au delà de cela, il nous reste encore beaucoup à apprendre et à découvrir sur le fonctionnement climatique de notre planète. Sans aucun doute les brusques variations climatiques subies dans certaines régions ont provoqué des mouvement de population, mais aussi de celles de leur animaux : https://www.youtube.com/watch?v=54RS8kAHybg (désolée pour le Sahara, c’est juste un exemple mais ce qui concerne la paléoclimatologie pour la Péninsule Arabe est plutôt en anglais).

  2. Merci Amélie pour votre message (pas long du tout, en fait).
    Les localités et civilisations que vous mentionnez (et dont j’ignorais une bonne partie) sont autant de pistes.
    Je connaissais la dénomination “ane des montagnes”, elle est plutôt curieuse, la montagne étant un habitat marginal pour le cheval.
    Peut-être un jour la génétique permettra-t-elle de différencier les différentes lignées arabes et les différentes contributions à cette race.

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