Les Buveurs d’air et les filles du vent
Bien que je suive très attentivement et très régulièrement les articles de ce blog merveilleux , je me rends compte avoir laissé passer de nombreuses occasions d’apporter commentaires et précisions. Je m’empresse donc de réparer cette négligence en ce début d’année 2010.
Tout d’abord , je m’étonne de la perplexité qu’a suscité la petite maxime : ” Le cheval de pur-sang Arabe (asil) est le cheval de l’homme, le cheval de course est le cheval du diable “. Robert Mauvy citait très souvent cette phrase; il la tenait , comme je l’ai dit, des Rouallah . Jamais je ne me permettrais de parler au nom de ceux-ci- seul Pure Man me paraît habilité à le faire ici- mais dans l’esprit de Robert l’enseignement en était très clair: L’emploi des chevaux asils et, pire encore, leur selection par les courses plates à l’européenne est un non sens tel qu’il confine à la monstruosité… C’est dévoyer la race voire avilir le cheval . Je suis en mesure d’apporter commentaires et exemples , d’ailleurs connus de tous, par la suite.
Si ces épreuves sous poids ultra-léger, sur de très courtes distances et sur le velours du “turf”sont celles du pur-sang anglais , il n’en est pas de même des courses nomades traditionnelles. Toutes celles auxquelles il m’a été donné d’assister se déroulent en terrain ouvert (steppe) parfois sur quinze kilomètres (rarement) plus généralement sur vingt , au galop et d’une traite. Chez les mongols , pour le na’adam , la cravache est utilisée mais les cavaliers(ères) ne peuvent être agés de plus de onze ans.
En Syrie , en Afrique du Nord et au Sahel, les cavaliers sont de tous ages mais ne portent ni cravaches ni éperons.
Le but évident est de sélectionner les reproducteurs les plus rapides, bien sûr , mais les plus rapides par leur sang et leur trempe…ceux qui gagnent par leur volonté, leur hardiesse, leur courage, leur facilité de récupération, leur aptitude naturelle à l’éffort prolongé et soutenu. J’ajoute trois points supplémentaires, constants sous tous les cieux:
1/ Les chevaux arrivent le plus souvent pour l’épreuve après un, deux, voire trois jours de marche (tenus en mains).
2/ Un grand tier des cavaliers monte sans selle, soit avec un simple tapis, soit à cru .
3/ La course est toujours une seule ligne droite, les chevaux se reunissent au point d’arrivée, où se trouvent les spectateurs, puis partent rejoindre au galop l’endroit fixé pour le départ distant de vingt kilomètres. Ils reviennent ensuite d’une traite après le signal donné.
Jeanne Menning possédait une vidéo remarquable et détaillée (tournée à Palmyre) de tout cela qui malheureusement à disparu avec elle. Pour ma part , je confesse que le spectacle est à chaque fois fabuleux. Les splendides extraits que Pure Man nous envoie en donnent une petite idée mais je puis vous affirmer, mes amis , que la réalité est encore plus envoutante. Demandez des précisions à Edouard, Pure Man, Joe Achcar, et d’autres de nos amis bien plus qualifiés que moi sur ce sujet.
On sait que la passion des courses fut à l’origine de l’une des guerres les plus sanglantes de l’Arabie préislamique, entre les Abs et les Fazâras, guerre connue sous le nom de deux chevaux concurrents , Dahis et Al Ghabrâ . En poésie, toutefois, cette passion n’a pas autant inspiré les jâhilites que la guerre et la chasse, alors que nous disposons d’informations assez copieuses sur l’organisation des courses et des paris, et qu’il existe en langue arabe un vocabulaire très nuancé les concernant. Un petit poème de la fin de l’époque préislamique , dans lequel la poètesse Khansâ se rapelle une compétition entre son père et son frère , ne manque pas d’originalité :
“Concourant avec son père, ils arrivèrent ensemble / Et entre eux échangèrent la cape de la gloire . / Lorsque vers eux bondirent les coeurs / Et décernèrent à chacun la victoire / Et qu’un cri s’éleva de la foule : Qui ? / Une voix répondit : On ne peut le savoir ! / Alors surgit le visage de son père,/ Celui-ci de toute son ardeur galopant, / Mais lui, s’il voulait , pourrait l’égaler / N’était le respect dû au grand âge . / Eux deux , à l’arrivée étaient comme / Deux faucons qui se posent sur un nid. “
Evidemment , les chevaux obtenus dans ces conditions et pour ces utilisations sont des animaux d’une vitalité, d’une puissance et d’un caractère tels qu’ils sont généralement incompréhensibles à nous autres occidentaux . Le qualificatif et le jugement sont péremptoires et sans appel : “C’est un cheval fou! ” Et pourtant….
Est-il possible de maintenir ce cheval dans son intégrité intellectuelle et physique dans d’autres pays que le sien ? Oui , mais avec beaucoup de soins, beaucoup d’éfforts , une connaissance précise de la question (quel bel outil que ce blog) et l’abandon de tout ésprit de profits ou de rentabilité.
Afin d’illustrer mes dires, il me plaît de rendre hommage à deux chevaux que j’ai connus et montés , et dont Edouard a publié les photos en décembre 2009. Le premier était mon étalon Murad Chahin, mort en 2005, né chez Louis Baudouin , de deux parents produits par R. Mauvy. Il a été le cheval de ma vie. D’un tempérament, d’une force et d’une résistance inouïs…
Si je ne craignais de lasser mes lecteurs , je vous conterais volontier comment, cet étalon , voulant me protéger, chargeait les sangliers à mes côtés au milieu des fourrés… entre autres anecdotes. J’affirme que de toute sa vie, il n’a jamais été fatigué un seul jour ni fait trois foulées boiteuses de suite, et cependant, il avait galoppé derrière sa mère (montée) depuis sa naissance et travaillé sous la selle depuis l’âge de 18 mois (et oui Karim!) .
Le second était Jehol Sahraoui. J’ai connu et monté cet étalon appartenant à Madame Bergman, à Maknassi en Tunisie. Là l’espace n’est pas le même qu’en France , les chevaux peuvent s’épanouir beaucoup plus facilement. Et bien, malgrè cela , sa fougue et sa trempe était telles qu’il était très difficile de le contenir. Si vous la contactez, Mme Bergman vous racontera comment, lors d’une randonnée , ayant pris la main à sa cavalière quelque peu inexpérimentée à l’entrée des chotts, il maintint son galop pendant 25 Km sans pouvoir être même ralenti, ne se calmant qu’après être sorti des derniers sables mouvants. Tous ses descendants faisaient montre de remarquables qualités et c’est avec émotion que je me souviens de son fils, Sansabil , le cheval d’Amarat , qui fut ma monture pendant quinze jours dans le sud tunisien .
Les élevages bédouins produisent naturellement des chevaux de ce niveau, ce qui n’exclut de leur part ni une attention et des soins constants , ni un travail et un entraînement poussés.
Dans ce but , à Tiaret, le grand rêve du commandant Bardot et de R. Mauvy était de transformer l’établissement en jumenterie nomade:
Les juments et les poulains auraient été confiés, sous contrats, aux tribus descendant dans le sud à l’automne et l’hiver . Puis, les animaux seraient revenus à Tiaret à la fin du printemps et durant l’été pour les saillies et les enregistrements avant de repartir de nouveau .. Ceci afin d’attenuer les conséquences de la vie sédentaire en dépit du sol et du climat qui, sur les hauts plateaux algériens, sont exceptionnellement favorables . Mais ces personnalités tellement intransigeantes se refusaient à utiliser comme reproducteurs les sujets nés au haras ceux-ci ayant déj , à leurs yeux , trop de générations hors du berceau de race. Aussi les missions d’achat allaient-elles régulièrement en Syrie et au Liban pour renouveler les étalons.
Ce projet de jumenterie nomade n’a cessé de me hanter durant la visite du centre El Assad à Damas en avril 2008. Il y aurait là un avenir assuré pour l’élevage syrien et une publicité et une reconnaissance unique au niveau mondial. Il est à noter que nos amis Radouane Shabarek et Kemal Abd El Khalek , d’Alep , étudient depuis quelques temps cette possibilité pour leurs propres élevages à partir d’un centre installé au sud des lacs de Geboul. Voila les quelques reflexions et souvenirs que je désirais partager avec les lecteurs de ce blog.
Tous mes voeux de reussite et de bonheur à tous avec vos chevaux , et mes chaleureux encouragements à chacun de vous.
Jean-Claude RAJOT
This blog article by Jean-Claude has some really important insights in what many of us on this blog share. I will translate it to English and post it here by the end of the week.
Thanks Edouard. I look forward to the translation. Even using “Google Translate” I was able to enjoy the essence of Jean-Claude Rajot’s words. It is a good reminder to us the true vitality of the Bedouin horse. I was of course amazed myself when seeing a small bay mare run 7KM flat out fast and effortlessly to win a race the Tai tribe put on for us. These are the original war horses. I enjoyed hearing about Murad’s courage and reminds me of my war mare Anchor Hill Serfa. To have ridden a war horse even once is a true gift of this breed and no doubt reminding us of what it must have been like to ride the famed war mare Wadduda!
I have no idea how nomadic today’s bedouin in Syria still are but it is definitively an interesting idea to have the bedu taking care of broodmares for reason of selection. If they don’t want to ride them along with their own, the broodmares are probably not good enough